PORTRAIT D’UNE PORTRAITISTE: NACERA KAINOU, PEINTRE OFFICIEL DES ARMEES DE TERRE, DE L’AIR ET DE L’ESPACE

On ne naît pas artiste on le devient. Pour Nacéra Kainou peut-être à partir du grand jardin d’un petit village sis dans le Jura rural, à la terre généreuse, et d’une mère manuellement créative, au souci affirmé de la beauté. Un monde de nature et d’insouciance qu’elle aime dessiner autant que toucher, en chemin vers l’Ecole des beaux-arts de Besançon dont elle sort bien diplômée. Après la capitale provinciale, la ville-monde, New-York, son incroyable mosaïque culturelle, l’Art Student’s League, établissement professionnel où, très loin de l’hexagone, des élèves venus de l’entière planète apprennent l’art auprès des maîtres. Goût des volumes et du jeu des contrastes, là se confirme son choix de la sculpture. Un double diplôme qui la conduit au Muséum d’histoire naturelle de Paris, décoratrice des expositions, dont l’une consacrée aux expéditions antarctiques françaises. Un buste de Paul-Emile Victor puis un autre de Théodore Monod : l’explorateur des pôles et l’amoureux des déserts lui mettent le pied à l’étrier d’une carrière, comme la leur succession de chauds et de froids, de liberté et d’ascèse, d’échecs et d’aboutissements : une richesse peu rémunératrice, la vie de Bohême. 

Nacéra s’inscrit dans l’antique tradition de l’art du portrait et de la statuaire et se définit comme sculpteure figurative, travaillant dans l’argile la figure humaine et animale, à la recherche de la vraisemblance plus que de la ressemblance, en quête, derrière les formes qui se montrent, des forces qui se cachent. « Un portrait sculpté » dit-elle « est un poème plastique, une biographie écrite dans la glaise ». Elle aime résumer son destin par la phrase de Goethe « Ce que je n’ai pas dessiné, je ne l’ai pas vu ». Aidée d’ébauchoirs et mirettes, ses mains façonnent son argile préférée – celle de Saint-Amand-en-Puisaye – façonnant des figures où chaque détail est boulette d’une terre avec laquelle elle avoue une relation sensuelle. Terre cuite originale, moule de cire en négatif puis l’original chez Susse, la meilleure et plus ancienne fonderie d’art de France, avant la patine du chalumeau, qui donne à la sculpture sa « peau » et en assure l’éternité. De son atelier parisien sortent ainsi Chateaubriand, Colette, Camus, Jaurès, Lucie Aubrac, Claude-Nicolas Ledoux, architecte de la saline royale d’Arc-et-Senans, urbaniste et utopiste dont l’œuvre la passionne, tous personnages auquel le vide des regards confère une vie singulière. 

Victor Hugo et Nacéra Kainou dans les ruines du Yuanmingyan, « une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument » (Victor Hugo). Photo Alain Caporossi.

Bientôt les hasards des rencontres mènent Nacéra Kainou en Asie. Séoul,  Pékin : son Victor Hugo est installé au Palais d’été, que dessinèrent pour les empereurs sino-mandchous les missionnaires catholiques et que mirent à sac les troupes anglo-françaises au grand dam du poète ; Singapour, où elle signe le seul buste jamais autorisé par Lee Kuan Yew, père de la nation allergique au culte de la personnalité. Mais les vaches sont souvent maigres, et la marmite difficile à faire bouillir. Commandes privées aléatoires, commande publique erratique : Nacéra ne fait ni dans le caniche fluo boudiné ni dans le vagin de Versailles. On l’y retrouve pourtant un jour de mars 2014, dans le bureau occupé à l’occasion par le fondateur de la Ve République, bien entourée des présidents François Hollande et Xi Jinping, quand le premier offre au second son buste du général de Gaulle, à l’occasion du 50e anniversaire de nos relations diplomatiques. 

Servitude et grandeur militaires.

Le général de Gaulle de Nacéra Kainou, cadeau de la République française à la République populaire. « La Chine, avant d’être la communiste, est la Chine » (C. de Gaulle). Photo Nacéra Kainou.

Des œuvres exposées au profit de la Cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre incitent cette dernière à pousser la fille de militaire engagé dans les troupes de marine à se porter candidate pour en devenir peintre officiel. Exposition en leur salon puis jury. Assimilée au rang de capitaine, la voici agréée, rejoignant les quarante-quatre plasticiens aujourd’hui  héritiers de ceux « chargés d’immortaliser les glorieux faits d’armes des rois et princes d’ancien régime », des peintres des batailles et autres protagonistes d’un art composante essentielle de l’histoire militaire. Une fonction prestigieuse autant que bénévole… Engagez-vous, vous verrez du pays : promesse tenue ! Djibouti, Nacéra travaille au portrait du dernier survivant du bataillon somali qui s’est illustré lors des deux conflits mondiaux, assure l’éducation artistique au Régiment de service militaire adapté de Mayotte et suit en Lituanie les manœuvres interarmes de l’OTAN, impressionnantes de réalisme. Au 21e RIMA de Fréjus est érigée sa statue du Marsouin, tandis qu’elle se consacre aux grandes figures du métier des armes, de l’amiral Castex au Maréchal Leclerc, à d’autres aussi : écrivains combattants et humbles mais non moins glorieuses : zouave, spahi ou tirailleur sénégalais. Récompensée de nombreux prix, dont celui de sculpture du Gouverneur militaire de Paris, Nacéra ajoute à sa palette en 2019 le titre de peintre de l’armée de l’air et de l’espace et façonne les bronzes de Pierre Clostermann, de « l’ange de Dien Bien Phu », Geneviève de Galard ou celui de la bien nommée Caroline Aigle, première femme pilote de chasse. Un monde nouveau, où lui en imposent fort noblesse et sens de l’engagement, discipline, une camaraderie unique et, dans toutes les acceptions du terme, la tenue. « L’armée oblige » affirme-t-elle. 

Lorsqu’il y a peu Nacéra Kainou apprend avoir été choisie par l’académie de Versailles pour réaliser la statue de Samuel Paty, une charge émotionnelle inédite étreint autant la sculptrice et peintre que la femme, qui se prépare, dans une singulière intimité avec son modèle, à un acte artistique contre l’obscurantisme. La postérité du jeune professeur est en de bonnes mains. 

Alain LABAT

Agenda 

22 avril-03 octobre 2021, Exposition nationale des Peintres des Armées, Mémorial Charles de Gaulle, Colombey-les-Deux-Eglises

Sitographie 

www.artmajeur.com (site de N. Kainou) 

www.peintresofficielsdelarmee.odexo.com