Les jeunes Chinois sont fidèles au régime de Xi Jinping

Tiananmen 1989

C’est à partir de 1971 que Zou En lai et, plus encore, Deng Xiaoping se saisissent des commandes du pouvoir en Chine, la sauvant du désastre social et économique résultant des immenses désordres de la Révolution culturelle. La mort de Mao, en 1976, ouvre la porte à de profondes réformes. Après avoir posé une politique de l’enfant unique pour stopper l’envol démographique dès 1979, préalable indispensable au redressement, libéré la paysannerie de ses carcans en 1984 en lui ouvrant marché et prix libres, favorisé les transferts de technologie par la politique des zones spéciales, mis en place un système d’économie de marché  socialiste, Deng voit la jeunesse chinoise s’enfiévrer. Elle réclame des réformes et des libertés. Une agitation universitaire de grande ampleur s’empare de la capitale au printemps 1989. Face à cette remise en question du PCC (Parti communiste chinois) et même du régime, Deng réagit avec toute l’énergie qui lui reste. Le vieil homme, âgé de 85 ans, donne l’ordre aux chars et à la troupe de tirer sur les étudiants. Dans la nuit du 3 au 4 juin, un tragique massacre se déroule, aussitôt occulté par les autorités. Selon la lecture des meilleures sources, nous sommes en mesure d’estimer le nombre de morts à probablement 2 500 et celui des blessés entre 25 et 30 000. Le régime ne reconnaît, si l’on peut dire, que 241 morts et 7 000 blessés.
Trente ans plus tard, il est intéressant de s’interroger sur la relation du régime communiste chinois avec sa jeunesse. L’histoire nous démontre qu’aucun État ne peut survivre durablement à la haine de sa jeunesse.

A la recherche du leadership mondial depuis trente ans 

A la mort de Deng, en 1997, il y a 24 ans, la Chine compte une population de 1,2 milliard d’habitants et son PIB atteint 960 milliards de dollars, 7,5 fois celui de 1977. Par habitant, le PIB s’établit alors à 800 dollars contre 31 500 dollars aux États-Unis, soit 40 fois moins. La Chine, première population du monde, se classe tout de même au 10e rang des puissances économiques du globe. Tant Jiang Zemin que Hu Jintao (1993 à 2012) s’efforcent d’obtenir une croissance plus harmonieuse. Leur principal bilan est d’avoir réussi le transfert d’environ 400 millions de ruraux vers les villes chinoises, éradiquant ainsi en partie la misère des campagnes et fournissant une main d’œuvre bon marché à l’industrie chinoise suburbaine, en pleine expansion. En 2012, date d’ascension au pouvoir de Xi-Jinping (il est élu secrétaire général du PCC), la Chine se classe au troisième rang mondial, assurant 9 % du PNB de la planète. Le nouveau maître de la Cité interdite, devenu président de la République en 2013, va définir un rêve chinois, celui de redevenir la première puissance mondiale comme au temps des Ming (XVIIe siècle) et des Qing (XVIIIe siècle). Le président chinois (à vie à partir de 2018) entend s’appuyer sur un parti communiste de 90 millions de membres, fer de lance de la lutte contre la corruption (70 000 Chinois arrêtés entre 2013 et 2015) et d’un combat idéologique qui définit sept périls où la démocratie occidentale, les valeurs universelles, le libéralisme, les droits de l’homme, la liberté de la presse et l’affirmation d’une société civile autonome, figurent en bonne place. 

Le développement de la Chine ou la leçon du stratège Xi

Première démographie mondiale avec 1,4 à 1,5 milliard d’habitants (devant l’Inde), seconde puissance économique de la planète, avec une PIB 2020 de 15 300 milliards de dollars (derrière les États-Unis : 18 300 milliards de dollars), la Chine est urbanisée à 55/56 %. Elle compte plus de 70 villes dépassant le million d’habitants dont six de plus de 20 millions. La plus grande ville du monde s’appelle Chongqing, sur le fleuve bleu, abritant 33 millions de personnes. La Chine consomme encore deux milliards de tonnes de charbon par an et représente 28 % du total des émissions de GAES (Gaz à effet de serre) contre 17 % pour les États-Unis et 12 % pour l’Europe (Grande-Bretagne incluse). Elle ne couvre ses besoins agro-alimentaires qu’à hauteur de 76/77 % environ. Devenue l’atelier du monde, elle dispose, grâce à ses excédents commerciaux, de réserves de change considérables de 3 200 milliards de dollars (1,5 fois la PIB française). 
Affichant une croissance économique annuelle proche de 6 % (sans doute d’environ 3 % dans la réalité sur la période 2017-2019 avec une année 2020 affichée à + 2 % et probablement proche de 0), la Chine se place en tête dans de nombreux domaines industriels. Elle dispose grâce aux BATX (Baidu, Alibaba Tencent et Xiaomi) de l’équivalent des GAFAM américains. On peut considérer que dans le domaine de l’intelligence artificielle et de l’ultra-haute tension, elle a acquis une certaine avance sur le reste du monde. Quant à son infrastructure, elle se classe en tête pour le réseau autoroutier, le réseau haut débit, le réseau ferroviaire à grande vitesse, le véhicule électrique. Son budget militaire est le second de la planète après celui des États-Unis (entre 200 et 250 milliards de dollars contre 750). En matière de force nucléaire, elle dispose d’environ 110 à 115 têtes pour missiles balistiques. Elle ne possède que de deux SLNE opérationnels mais en construit actuellement trois.
Ce rapide tour d’horizon indispensable achevé, il convient, à présent, de revenir sur les objectifs fixés par Xi Jinping à son pays. En bon empereur, il entend être le premier à réunifier la Chine et donc à s’emparer de Taïwan. Il y va de la trace qu’il entend laisser dans l’histoire plurimillénaire de l’Empire du Milieu. Il a fait adopter le projet « Made in China 2025 » qui vise à mettre la Chine en pole position mondiale dans une dizaine de secteurs clés : intelligence artificielle, biotechnologies, calculateurs quantiques, véhicules sans chauffeur, cyber, centrales nucléaires, 5 et 6 G, véhicule électrique… Il a fixé, ensuite, deux autres priorités : devenir le numéro Un économique mondial en 2050 et parvenir à une neutralité carbone en 2060. Ce stratège ne s’embarrasse plus des pratiques diplomatiques ancestrales et affirme avec force son credo dans une mondialisation hégémonique bénéficiant à la Chine. Alors que la Chine n’est jamais sortie de ses frontières tout au long de sa longue histoire, le projet des Nouvelles Routes de la Soie, rappelle la grande aventure maritime de l’empereur Yongle menée entre 1402 et 1424 par le capitaine eunuque Zheng He. Mais elle va bien au-delà, avec la volonté chinoise de trouver un relais de croissance (65 pays visés représentant un tiers du PNB mondial) à une expansion intérieure qui va se trouver minée tant par le vieillissement de la population que par l’absence de couverture retraite pour la plupart des travailleurs quittant le marché du travail dans les prochaines décennies.
En promouvant, aujourd’hui, le développement du marché intérieur, en numérisant la vie quotidienne de son peuple pour le mieux contrôler, en lançant, pour demain, la Belt and Road Initiative, la Chine entend poursuivre sa croissance malgré le ralentissement mondial. Et elle est décidée, avec de moins en moins de précautions, à croiser le fer avec l’Amérique dans les domaines commercial, technologique, monétaire et même militaire.

Comment savoir ce que pensent les centaines de millions de jeunes Chinois (15 à 35 ans) du régime ?

La première difficulté est, bien sûr, celle des sources, la Chine étant, à l’évidence, une dictature dont l’information officielle, la presse, les ouvrages écrits, sont parfaitement contrôlés par le PCC et donc hautement suspects de travestir la réalité. Le rapport de huit pages publié par The Economist du 23 janvier 2021 sur les Jeunes Chinois et non signé (conformément à la règle qui prévaut dans ce journal, le rédacteur ayant travaillé à partir d’autres études de spécialistes) m’a servi de socle. D’autres articles, tirés tant de The Economist que de l’Observer ont également soutenu ma démarche. De même, je reconnais que l’excellente BD, Une vie chinoise, écrite en français par Li Kunwu, m’est apparue très instructive sur ce qui s’est réellement passé en Chine pendant et depuis la Révolution culturelle. Sans oublier l’article d’Yves Montenay dans Contrepoints, mes contacts avec des étudiants chinois et mes propres travaux sur la Chine (Les Maîtres de la Cité interdite et Histoire des cinq grandes puissances). Je me suis nourri aussi, depuis longtemps, de José Frèches (après René Grousset) pour découvrir l’histoire de la Chine, mais aussi des deux  François, Jullien et Cheng, pour comprendre le sens de la Chine. 

Enfant unique, enfant masculin, enfant gâté, enfant stimulé, enfant célibataire, 

Tous ceux qui sont nés entre 1977 et 2005 et qui ont donc entre 15 et 35 ans aujourd’hui, sont nés sous le régime de l’enfant unique, théoriquement abandonné, sans grand succès, depuis 2016. Ils sont, en 2021, au nombre de 410/415 millions. Enfant unique, la petite Chinoise (on ne pratique plus l’infanticide des filles dans les campagnes bien qu’en 1980 le gouvernement chinois ait dû publier un livre blanc le traitant de « mal féodal ») ou le petit Chinois est élevé selon les principes confucianistes. Lesquels justifient d’abord l’autorité, le pouvoir, l’ordre établi et le devoir d’obéissance. L’héritage taoïste qui affirme la solidarité entre l’homme et la nature n’est toujours pas totalement effacé. Poussé à donner le meilleur de lui-même, à réaliser des études supérieures, à suivre des cours complémentaires, le jeune adolescent devient un élève acharné. Ses parents qui dépensent beaucoup d’argent pour sa formation, rêvent pour lui d’un bon poste sans risque dans la fonction publique, comme aux temps de l’empire des lettrés. D’ailleurs, c’est leur propre devenir qu’ils protègent, alors que le système de retraite n’existe en Chine que depuis quelques années. La petite Chinoise ou le petit Chinois devra, en effet, assurer leur prise en charge et sans doute même celle des grands parents survivants. Le respect envers les anciens, disparu de nos sociétés occidentales, est, là encore, un fondement de la pensée de Confucius. Inutile de préciser qu’avec ce dur régime, il n’est guère possible de se marier jeune, d’autant que les logements d’une certaine taille, permettant d’abriter un couple, sont hors de prix en ville, tant à la location qu’à l’achat. Aussi, la jeune Chinoise, le jeune Chinois, se marient-ils tard, pas avant 30 ans désormais. Pas tout à fait comme en Occident, mais pas si loin ! Enfin, le nombre des jeunes hommes est très nettement supérieur à celui des jeunes femmes, laissant sur le carreau du célibat pas loin de 40 à 45 millions de Chinois. Ce qui d’ailleurs a deux conséquences : l’ascension sociale accélérée des jeunes femmes et – excusez le propos – le développement des bordels…
Rappelons qu’en 2020, ce sont 60 millions de Chinois qui étudiaient dans l’enseignement supérieur, soit environ un tiers des 15-27 ans. 

Chinois des villes et Chinois (venus) des champs

La carte du développement chinois continue de se tracer le long de la côte, du Shandong à Hong Kong et Macao, au centre du pays avec les provinces du Shaanxi, de Chongqing, du Hubei et du Hunan, enfin au nord, en Mongolie intérieure, grâce aux terres rares. La suppression du hukou et la création d’une carte de résident a permis, sinon aux parents, du moins à leurs enfants issus de l’exode rural, de quitter les campagnes. Et donc, n’étant plus contraints d’attendre le retour de leurs parents en compagnie de leurs grands-parents dans les villages de l’intérieur, d’améliorer leur sort. C’est que le besoin de main d’œuvre s’est accru dans l’industrie (malgré les progrès de la productivité) et dans les services, du fait du développement d’une économie informelle. Ainsi les jeunes ruraux sont-ils venus louer leur force de travail comme journaliers de l’industrie et ont-ils trouvé des emplois dans l’ubérisation des villes (secteurs de la livraison et du transport). Dans les grandes villes, si nombreuses, les jeunes migrants de l’intérieur occupent désormais 25 % des emplois, le plus souvent peu qualifiés. Mais leurs revenus s’améliorent. 
Ainsi se dessine une société des jeunes partagée entre la fonction publique (liée au parti communiste), les grandes entreprises d’État et les grands groupes privés, une myriade de moyennes et petites affaires (tant sont nombreux les jeunes Chinoises et Chinois qui entendent créer leurs entreprises) et les services à la personne, en bas de l’échelle sociale.L’économie informelle ne vit cependant pas sans contrôle : il n’existe pas d’entreprise indépendante en Chine. Des TPE aux grandes entreprises, elles sont toutes soumises à l’ascendant d’un représentant du PCC.
La forte croissance chinoise a permis, jusqu’à présent, beaucoup de créations d’affaires et un développement brillant de l’industrie et des services. Mais, depuis deux années, on note un timide retour (quelques dizaines de milliers de Chinois), des jeunes migrants de l’intérieur, vers leurs cités d’origine. L’exode rural a donc totalement cessé. Il est vrai que la situation des provinces profondes a beaucoup évolué avec une destruction massive des villages, remplacés par des immeubles qui font furieusement penser à nos HLM d’après-guerre. Ainsi la très grande pauvreté rurale a-t-elle disparu, quand bien même l’agriculture chinoise demeure très sous-équipée, en raison de l’insuffisance de la taille des parcelles qui ne permet pas une industrialisation efficace des cultures. Sans compter une impressionnante pollution des sols et la disparition de bonnes terres arables en raison d’une urbanisation accélérée. Aussi pensons-nous qu’un exode rural inversé pourrait se développer à l’avenir, autour des progrès d’une agriculture qualitative qui manque totalement à la Chine. La vie à la campagne (urbanisée) est beaucoup moins onéreuse pour les jeunes alors que l’Internet et le smartphone leur permettent de rompre leur isolement.

Un jour l’ennui naquit de l’uniformité !

Quant à nos jeunes Chinois des deux sexes qui habitent dans les villes, c’est-à-dire tout de même près de 250 millions de personnes (à savoir la population de l’Indonésie, premier État musulman du monde), ils se trouvent au cœur d’une incroyable compétition tant pour les postes de fonctionnaires que pour ceux des secteurs industriels et technologiques. Aussi, semble-t-il, sont-ils nombreux à pousser leurs pions vers des domaines exigeant un engagement personnel dans le cadre d’activités bénévoles, en sus de leurs carrières professionnelles. Le PCC ne permet guère de grands écarts. Leurs tentatives se limitent donc à l’écologie, au féminisme, voire à des tâches caritatives de solidarité. Le parti ne peut rejeter la démarche écologique des dizaines d’ONG qui luttent et dénoncent la pollution industrielle. La plus vieille ONG chinoise, Les Amis de la Nature, a depuis longtemps développé une démarche militante, dénonçant les pollutions de rivières, encourageant le ramassage (par les écoliers notamment) et la destruction des ordures, promouvant les plantations d’arbres. D’autres s’intéressent à l’observation de la nature, au repérage des oiseaux, mais aussi, plus concrètement, aux bonnes pratiques d’économie d’énergie… La jeunesse chinoise urbaine est très engagée dans ce type d’activités. On voit désormais les jeunes changer leurs habitudes en consommant des produits végétaux (pour remplacer la viande en particulier), en achetant des vêtements d’occasion, illustrations d’une prise de conscience collective.
Il est un domaine où le PCC, pourtant très vigilant, observe avec inquiétude l’évolution des choses, c’est la pratique religieuse. Le remarquable progrès des églises chrétiennes en Chine – environ 100 millions de chrétiens répartis entre 12 millions de catholiques et 88 millions de protestants – rend le PCC nerveux. Il explique la décision du pape d’accepter un contrôle d’État sur la nomination des évêques. Il illustre le désir croissant des jeunes, tout spécialement des jeunes cadres, à qui les doxa matérialistes et dictatoriales ne suffisent plus, de rechercher une vie spirituelle. Les spécialistes de la question religieuse en Chine estiment que d’ici 2030/2035, le nombre des croyants pourrait doubler. Aussi n’est-il pas étonnant que le régime ait réagi, non pas en fermant les églises, mais en détruisant les signes extérieurs, c’est-à-dire les croix si nombreuses, érigées au XIXe et au XXsiècle par les religieux et les pasteurs. Ce sont tout spécialement les provinces d’Anhui (Shanghai) et de Zhejiang qui sont dans le viseur des iconoclastes communistes chinois. On parle de 14 à 15 000 croix qui auraient été abattues.

Une jeunesse très nationaliste 

Bien sûr les programmes scolaires à la gloire de Xi Jinping, tout comme les pèlerinages, si courus, dans les hauts lieux de la saga communiste (en particulier la province du Shaanxi, point d’aboutissement de la Longue marche en octobre 1935, véritable Anabase chinoise), forment la jeunesse chinoise. 
Avec ses succès économiques, scientifiques, technologiques, spatiaux, la Chine de Xi-Jinping venge les fils du Ciel d’un siècle d’humiliations successives depuis les traités inégaux des trois guerres de l’opium jusqu à la déposition de Tseu Hi à l’issue de la guerre des Boxers. Voilà pour la revanche vis-à-vis des Occidentaux. Il en est de même à l’endroit des Japonais qui ont occupé de façon particulièrement odieuse la Chine de 1932 à 1945 et sont tout spécialement détestés dans tout le pays. La jeunesse n’est nullement insensible aux proclamations nationalistes d’un régime qui permet à la Chine de viser la première place mondiale comme aux temps glorieux de son histoire. Et elle réagit avec enthousiasme aux consignes de boycott des marques européennes. Tout comme, il n’est pas un jeune Chinois qui ne considère le Tibet, le Sin-Kiang, Hong Kong et Taïwan comme une partie intégrante de la Chine. Et même la mer de Chine méridionale comme une « Mare nostrum », y compris les îles Spratleys, Paracels et même les îlots de Senkaku. Et personne ne s’offusque des répressions conduites tant contre les Tibétains que, plus récemment contre les Ouighours. De même la relation par la presse occidentale de la pandémie du Covid, née à Wuhan, est perçue par tous, jeunes et vieux, comme une propagande anti-chinoise. D’ailleurs, c’est le PCC qui a su vaincre le virus infiniment plus rapidement que le reste du monde.
Certes nombreux sont les jeunes cadres et les touristes chinois à sortir de leur pays mais ils sont peu sensibles au modèle individualiste et libéral auquel ils se trouvent confrontés dans les pays occidentaux. Depuis l’an 2000, ce sont plus de 100 000 étudiants chinois qui se rendent chaque année à l’étranger, en particulier aux États-Unis, pour y suivre leurs études. Sans que l’on puisse détecter la moindre influence sur leur comportement au retour dans leur mère patrie. Depuis longtemps, la Chine, et donc sa jeunesse, pense différemment du reste du monde avec une vision hiérarchisée de la structure familiale, une conception inégalitaire des rapports hommes/femmes, une conception verticale de l’exercice du pouvoir politique, enfin, et principalement, une préférence accordée à l’intérêt communautaire sur l’individu. La loyauté à l’égard du groupe l’emporte, à l’évidence, sur la tolérance. 
L’enfermement sur lui-même de l’Internet chinois (les Chinois sont privés de Google, Twitter et Facebook) n’est pas perçu comme une sanction. D’autant que le régime sait favoriser des respirations avec la multiplication des blogueurs, qui peut donner le sentiment d’une certaine liberté d’expression et d’une relative diversité d’opinions. 

Une Chine plus efficace que l’Occident

Les jeunes Chinois ont évidemment le sentiment de pouvoir réussir dans les nouvelles technologies, développant grandes et petites entreprises avec un talent au moins égal à celui des Américains. Ils s’étonnent des désordres constatés aux États-Unis (fusillades dans les campus et ailleurs, trop grande tolérance à l’endroit des minorités raciales et sexuelles), préférant une harmonie sociale même si elle s’effectue au prix du sacrifice consenti de certaines libertés. C’est grâce à la discipline collective que l’épidémie de Covid a été maîtrisée. La société numérique n’est pas nécessairement synonyme d’une société ouverte, démocratique et libre. Mais le contrôle de la population par la reconnaissance faciale et le QR Code n’est pas perçu comme une application de traçage agressive. Il permet la paix sociale, le règne de l’ordre, le bon comportement individuel grâce au crédit social (gain et pertes de points), la dématérialisation des opérations de la vie quotidienne… Ainsi la Chine apparait-elle aux jeunes comme plus efficace que ses rivaux occidentaux, voire plus calme, plus organisée, plus propre.

Une jeunesse fidèle au régime communiste

Les jeunes de 15 à 35 ans sont parfaitement conscients de l’évolution de la Chine depuis trente ans. Ils savent également combien leurs conditions de vie se sont améliorées par rapport à celles de leurs parents. Mais ils commencent à abandonner certains principes philosophiques chinois propres à Confucius ou à Lao Tseu : les voilà devenus beaucoup plus individualistes et plus réticents face à la société patriarcale et au respect des anciens. Aussi ne souhaitent-ils pas, pour les deux-tiers d’entre eux, avoir plus d’un enfant, de peur de dégrader leur niveau de vie. Sans doute sont-ils parfaitement conscients que la compétition pour obtenir un bon emploi est de plus en plus rude, en raison de l’accroissement du nombre d’étudiants et du ralentissement de l’expansion économique qu’une dette publique trop lourde a du mal à soutenir aussi efficacement qu’auparavant. 
Tant que le PCC développe le pays, qu’il ouvre de nouveaux domaines scientifiques et techniques propres à satisfaire les plus belles ambitions (par exemple les projets d’une sonde sur Mars en 2021 et de l’envoi de Chinois sur la lune en 2030), qu’il lui fixe des objectifs ambitieux au plan international, qu’il motive ainsi la partie la plus dynamique de la population, il ne devrait pas être contesté par la jeunesse. 
Certes, comme le disait Deng, à force de s’insinuer sur tous les continents par l’action diplomatique, par les Routes de la Soie, par les interventions extérieures (c’est la Chine qui fournit le plus de troupes pour le maintien de la paix à l’ONU), par une présence envahissante au sein des grandes organisations internationales, « il est difficile d’ouvrir la porte sans faire entrer les mouches ». 
Mais le régime n’est pas prêt d’imploser même si il doit faire face à de nouveaux défis imposants : une croissance plus molle, une pollution encore considérable, un vieillissement de la population. Et il conserve en mains deux leviers décisifs : 
-une jeunesse motivée par la réussite chinoise,
-un nationalisme très répandu qui peut aisément être mobilisé dans le cadre d’un conflit « extérieur » pour assurer l’unité (de ce point de vue Taiwan constituerait une excellente cible).
Ce que nous considérons aujourd’hui comme une crispation du régime face à l’Occident va se poursuivre. Comme l’a déclaré Xi, il y a quelques jours, « la Chine peut maintenant regarder le monde dans les yeux. » Ce qui signifie que la Chine estime faire la course en tête, se trouver sur la pente ascendante, voir son propre système de valeurs triompher dans la compétition qui l’oppose à l’Occident américain et européen. Créativité supérieure et puissance économique presqu’égale justifient cette autosatisfaction qui parle à une jeunesse, désormais fière d’être chinoise. 
Assurément, l’évolution chinoise démontre, depuis trente ans que l’ouverture économique n’entraîne pas nécessairement d’ouverture politique.

Philippe Valode 

Membre associé au CODIR de l’IHEDN AR14