Discours d’Édouard Philippe, Premier ministre, devant les sessions nationales 2017-2018 de l’IHEDN et de l’INHESJ

Ecole militaire, Paris 7ème
Vendredi 16 février 2018
Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le chef d’Etat-major des armées,
Madame la directrice,
Mon général,
Mesdames, messieurs,

A peu près au moment où je faisais mon service militaire en 994, j’ai lu pour la première fois un livre qui m’a profondément marqué et dont je parle souvent.

C’est un livre de Marc BLOCH qui s’appelle « L’Etrange défaite ». J’aime beaucoup Marc BLOCH, pas seulement pour « L’Etrange défaite » mais parce qu’il a une langue d’une très grande simplicité, d’une très grande précision, une érudition tout à fait remarquable sur la France, son histoire. Vous savez qu’avec d’autres – notamment avec Lucien FEBVRE – il a été un de ces historiens qui ont voulu intégrer le temps long dans l’approche historique. Il a été un officier, il s’est battu pendant la Première Guerre mondiale et dans ses œuvres complètes, il y a un recueil de lettres qu’il écrivait aux familles des soldats morts sous ses ordres, qui sont des lettres absolument magnifiques.

Il avait demandé à être remobilisé pour la Seconde Guerre mondiale. Il avait dépassé l’âge auquel normalement il aurait dû être remobilisé, mais il l’avait demandé de façon explicite. Et dans « L’Etrange défaite », il se livre à un exercice difficile pour un historien, difficile pour un officier et au fond probablement difficile pour un Français. Il s’interroge sur ce qu’il est en train de vivre ou plus exactement sur ce qu’il vient de vivre, les raisons de la défaite et d’une certaine façon de l’effondrement et de l’armée et de l’Etat.

C’est un livre formidable parce qu’il est d’une intelligence lumineuse. Il est à la fois très triste parce qu’au moment où Marc BLOCH écrit, la France est occupée, défaite et en même temps, il y a une forme de petit espoir dans ce livre parce que justement, c’est l’intelligence et la lucidité à l’œuvre, et que c’est la base sur laquelle on peut évidemment tout reconstruire.

Ce livre m’a beaucoup impressionné parce qu’il est pour moi une forme de cauchemar. Il montre que des Français en 1940 ont pu vivre alors même qu’ils pensaient que c’était impossible, inenvisageable. L’effondrement complet de leur pays, l’effondrement de tout ce qui constitue la nation française, l’armée et l’Etat. 

(…)

Je vous avais dit que je terminerai par un auteur. Pendant longtemps j’ai été élu au Havre, mais j’ai travaillé à Paris, et donc j’ai fait beaucoup d’allers-retours en voiture. La grande menace, lorsqu’on fait beaucoup d’aller-retour en voiture, c’est l’excès de vitesse bien entendu, mais c’est aussi, peut-être encore plus insidieux, l’endormissement. Et pour lutter contre l’endormissement j’avais pris l’habitude d’écouter les discours enregistrés de MALRAUX, parce que ça réveille, parce que ça fait vibrer, parce que je suis bien persuadé ici, dans cette salle, que dès lors que vous entendez les mots et le ton de MALRAUX vous avez la chair de poule et les tripes qui se retournent. Il se trouve que MALRAUX – on connaît sa phrase célèbre « l’homme est ce qu’il fait » – a écrit dans le dernier chapitre de « La condition humaine », une phrase qui, compte tenu de ce que je viens de vous dire, doit nous faire réfléchir, mais donne finalement beaucoup de sens à ce que je crois. Il dit « sans doute les hommes ne valent-ils que par ce qu’ils ont transformé. » Eh bien, ce que nous voulons faire, ce n’est pas changer la France, parce que nous l’aimons, c’est la transformer, parce que c’est notre devoir.

DISCOURS DE M. EDOUARD PHILIPPE, PREMIER MINISTRE DEVANT LES SESSIONS NATIONALES 2017-2018 DE L’IHEDN ET DE L’INHESJ À PARIS – V

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