Défense : les 2% du PIB en 2022 ne sont pas en option

Un article paru ici

02 juin 2017 • Agnès Verdier-Molinié

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Si l’on raisonne en termes de poids dans le budget annuel de l’Etat français, la Défense est passée de 14% en 1982 à 10% en 2016. En termes de part consacrée à la Défense par rapport au total des richesses produites, le ratio est passé de 3,1% du PIB en 1982 à 1,88% en 2011 et 1,73% en 2015. Ce qui correspond à une division par deux de l’effort de défense français en trente ans. Le ministère de la Défense est aussi le ministère qui s’est le plus réformé sous la pression des coupes budgétaires successives. La Défense a supporté à elle seule quelques 40% de l’effort décidé par la RGPP. De 2008 à 2019, la défense aura perdu 50 000 postes. Avec les conséquences que l’on sait : même si notre armée reste théoriquement capable de mener n’importe quel type de mission, les nombreuses déflations d’effectifs dans les forces de combat et surtout dans les fonctions de soutien mettent clairement en danger notre capacité à fournir une « masse critique » d’hommes et de matériels. 

Dans le même temps, les Français attendent que l’Etat les protège mieux : 66% d’entre eux pensent même que la situation sécuritaire actuelle nécessite un effort budgétaire supplémentaire, près de 17 points de plus qu’en 2015. Cette prise de conscience de l’importance de la mission régalienne de défense est évidement liée à la menace que fait planer sur la France l’organisation terroriste de l’Etat Islamique.  

Le nouveau quinquennat qui commence doit marquer un clair changement de vision stratégique pour la Défense nationale. Malgré les efforts louables de Jean-Yves le Drian quand il était à l’hôtel de Brienne pour sauvegarder -souvent in extremis-  les ressources et réorganiser les services, nul ne peut se satisfaire de la situation globale de nos armées. Elles sont tout simplement harassées par une activité opérationnelle très soutenue qui est près de 30% supérieure dans certains domaines au contrat opérationnel édicté par le Livre Blanc 2013. Les exigences des engagements actuels, entre les opérations extérieures et intérieures, induisent une véritable surchauffe budgétaire et opérationnelle qui met en danger l’endurance de notre outil militaire.

Il est temps de donner à nos armées de vraies marges de manœuvre. Concrètement, la Fondation iFRAP recommande une impulsion budgétaire importante avec une nouvelle Loi de Programmation Militaire 2018-2023 qui serait adoptée à l’automne 2017. Cette nouvelle LPM comprendrait quelques 240 milliards d’euros (constants 2017) sur sa période d’exécution. Cela représenterait environ 50 milliards d’euros supplémentaires par rapport à la Loi de Programmation Militaire Initiale 2014-2019.

Cette nouvelle LPM consacrerait une Force Opérationnelle Terrestre de 77 000 hommes mieux équipée et encore plus capable de développer et d’entretenir ses compétences. Au total, le nombre de postes du ministère serait de 283 661 en 2023 avec 15 000 embauches supplémentaires. La réserve opérationnelle serait aussi mieux dotée, mieux entraînée et plus souple à déployer. Elle serait notamment apte à soulager nos forces d’active dans les opérations intérieures comme Sentinelle très consommatrices en personnels. Dans cette LPM, serait programmée la montée en puissance de nos services de renseignements et de nos capacités en cyberdéfense (5,5 milliards de plus). La rénovation urgente des emprises militaires qui le nécessitent, tant au niveau de la qualité des infrastructures que de leur sécurisation est aussi proposée dans cette loi de programmation (1 milliard d’investissements supplémentaires). Un investissement massif dans l’entretien des matériels pour accroître leurs taux de disponibilité respectifs est aussi urgent. Comme l’est  le remplacement des plus anciennes générations, certaines âgées de plus de trois décennies : ainsi, l’accélération du programme Scorpion, le lancement en urgence du programme de patrouilleurs maritimes, 2 à 3 frégates supplémentaires, le changement de nos pétroliers ravitailleurs, la commande d’avions-ravitailleurs Phénix supplémentaires (soit un investissement dans les matériels de nos trois armées d’environ 12 milliards). Dans le même temps, nous devons continuer d’investir massivement dans la recherche et le développement de technologies de défense innovantes. En parallèle de tout cela, les deux composantes, aériennes et sous-marines, de la dissuasion nucléaire doivent impérativement être modernisées à partir de 2020 (pour un coût de 8,5 milliards). Une fois que tous ces objectifs seront remplis, il s’imposera aussi de songer à l’accroissement quantitatif du format de nos flottes, que ce soit l’aviation de combat, la flotte de transport ou encore la flotte d’hélicoptères de manœuvre.

2 points de PIB pour la défense (les dépenses sociales sont à 34…), c’est à ce prix que nous préserverons un modèle de défense capable d’agir sur tout le spectre des menaces à la fois intérieures et extérieures, maritimes aériennes et terrestres tout en alliant cohérence, endurance et puissance. 

Cette tribune a été publiée dans les pages des Echos, vendredi 2 juin 2017.