Rapport relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2016

L’analyse de Pascal Tran-Huu :

La Délégation parlementaire au renseignement a été créée par la loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007, a ainsi vu ses compétences renforcées par la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. Elle assure le contrôle parlementaire et l’évaluation de l’action du Gouvernement en matière de renseignement. Ses travaux sont couverts par le secret de la défense nationale. Sa fonction consiste, pour partie, à effectuer des recommandations à destination de l’exécutif à partir de l’analyse de la politique suivie et du fonctionnement des services. À cet effet, elle rend un rapport comportant des informations classifiées au Président de la République, au Premier ministre et aux Présidents des deux assemblées. Elle publie le même rapport (mais expurgé des informations classifiées) après qu’il a été présenté officiellement au Président de la République.

Le rapport s’articule selon les quatre axes de réflexion suivants :

  1. le bilan d’activité de la Délégation en 2016 et le suivi de ses propositions antérieures (I) ;
  2. les grands aspects de la politique du renseignement en 2015 et en 2016 (II) ;
  3. la communauté du renseignement en 2015 et en 2016, et les préconisations de la Délégation face à certains problèmes qu’elle rencontre (III)
  4. l’analyse des lois du 24 juillet 2015 relative au renseignement et du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, ainsi que leur évaluation au terme d’une année d’application (IV).

On trouvera, également, en chapitre V, une présentation des travaux de la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS), établie par son président, M. le sénateur François-Noël Buffet, et portant sur l’exercice 2015.

De manière générale, dans les différentes parties du présent rapport, la Délégation a estimé que la politique du renseignement devait répondre à six grands principes :

  1. la poursuite du renforcement des moyens accordés aux différents services et amorcé avec le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 ;
  2. l’amélioration de la capacité de recueillir les renseignements au plus près du terrain – ce qui suppose de renforcer, notamment, le renseignement territorial et le renseignement pénitentiaire ; il faut également renforcer les échelons régionaux des services, échelons qui jouent un rôle essentiel dans la remontée des informations et dans la captation des « signaux faibles » ;
  3. l’enrichissement, sur certains points, des deux lois de 2015 sur le renseignement et sur la surveillance des communications électroniques internationales ;
  4. la recherche d’une efficacité maximale des services en levant certains obstacles qui peuvent leur poser problème ;
  5. la réaffirmation de l’ensemble des finalités de la politique du renseignement ; c’est ainsi qu’indépendamment de la lutte antiterroriste, il ne faut pas oublier les autres finalités du renseignement – à savoir la défense de l’indépendance nationale ; la défense de l’intégrité du territoire ; la préservation des intérêts majeurs de la politique étrangère ; la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ; la préservation des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs ; la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ; la prévention des actions visant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ; la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ; la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ; et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive ;
  6. enfin, la nécessité de disposer d’un système d’évaluation performant de la politique du renseignement.

Je me suis ému, en son temps, de la promulgation de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement en soulignant les dérives potentielles qu’elle permettait.  Voici ce que j’écrivais le 13 avril 2015 :

« Dans un récent billet, intitulé « France Surveillance State », je vous faisais part du pouvoir extraordinaire qui va être donné au gouvernement en matière de recherche du renseignement. Les Français souhaitent être protégés, quoi de plus normal, mais à quel prix ?

Le « Patriot Act » donne des pouvoirs étendus aux divers services de renseignement mais il y a une grosse différence par rapport au projet de loi français. il existait déjà plusieurs paliers de protection de la vie privée relativement à la surveillance électronique avant même la promulgation du Patriot Act. Il fallait généralement obtenir une autorisation judiciaire, ou du moins un mandat ou une assignation à témoigner, avant de procéder à de la surveillance ou de faire une interception, mais la rigueur des critères d’obtention de ces documents variait selon le type d’information à recueillir, le degré de confidentialité que l’on pouvait raisonnablement attribuer à l’information et le motif pour lequel les agents de la paix ou les fonctionnaires du gouvernement demandaient l’autorisation (c.-à-d. le renseignement étranger ou d’autres raisons).

La Patriot Act a modifié le droit américain pour augmenter la capacité qu’ont les services de sécurité d’obtenir certains types de mandats des tribunaux afin de s’adonner à de la surveillance électronique ou d’intercepter des communications et pour accroître les catégories d’informations que ces mandats permettent d’obtenir dans certaines circonstances.

Par exemple, l’article 206 du Patriot Act autorise la délivrance de mandats généraux (« roving orders ») aux termes du FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act). Ces mandats doivent être demandés au tribunal instauré par le FISA ou à l’Attorney General en cas d’urgence et n’exigent pas que soient identifiés de façon précise l’instrument, l’installation ou l’endroit visés par la surveillance. Plutôt que d’exiger que les agents du renseignement obtiennent un mandat distinct en vertu du FISA pour chaque téléphone ou appareil qu’ils désirent mettre sur table d’écoute, cette disposition leur permet d’obtenir un mandat général les autorisant à le faire pour plusieurs appareils appartenant à un individu, c’est-à-dire à cibler une personne plutôt qu’un téléphone en particulier. Afin d’obtenir un tel mandat, il leur faut convaincre le tribunal que la cible est un pouvoir étranger, au sens de la définition donnée dans l’article 1801, titre 50 du U.S.C., (en vertu du 4e Amendement),et que les actions de la cible peuvent contrecarrer la surveillance. Nous avons, donc, l’intervention/autorisation de la justice.  Certes, le président Bush a signé, en 2002, un décret-loi secret autorisant la National Security Agency (NSA), l’organisme chargé de l’interception de renseignements étrangers d’origine électromagnétique aux États-Unis, à surveiller et à intercepter les appels téléphoniques effectués et les courriels internationaux transmis par des personnes aux États-Unis à des personnes à l’extérieur des États-Unis ou inversement, sans avoir à obtenir une autorisation judiciaire préalable du tribunal. Le Président Bush avait signé ce décret en vertu du « Autorisation for use of military force ». AUMF autorisait le président à utiliser toute la force nécessaire et appropriée contre les pays, organisations ou personnes qui, à son avis, ont planifié, autorisé, commis ou aidé les attaques terroristes du 11 septembre 2001, ou ont hébergé ceux qui ont commis ces actions, afin de prévenir les actes terroristes futurs contre les États-Unis par ces pays, individus ou organisations. Le décret-secret a été attaqué car il viole le 1er et le 4e amendement.

Le projet de loi français donne la latitude au Premier Ministre de délivrer les autorisations d’écoutes : « Au chapitre Ier, l’article L. 821-1 soumet la mise en œuvre des techniques sur le territoire national à une autorisation du Premier ministre accordée, sauf urgence absolue (article L. 821-5), après avis d’une autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). »

Les Américains sont-ils moins bien protégés du fait que les services sont obligés de passer par la case justice pour obtenir un mandat ?

En France, en matière de terrorisme, des opérations d’infiltration peuvent être autorisées par le procureur de la République ou le juge d’instruction (articles 706-81 à 706-87 du Code de Procédure Pénale). Des saisies et perquisitions en dehors des heures légales peuvent également être effectuées (articles 706-89 à 706-94 du Code de Procédure Pénale).

En outre, des écoutes téléphoniques pour une durée d’un mois renouvelable une fois, après autorisation du juge des libertés et de la détention et à la requête du procureur de la République (article 706-95 du Code de Procédure Pénale) sont possibles.

Le projet de loi, tout en renforçant les moyens en matière de lutte contre le terrorisme et en protégeant les agents des services spécialisés de renseignement, dont la protection de l’anonymat a pourtant été renforcée par le législateur en 2011 et en 2013,  qui demeurent exposés à des risques pénaux injustifiés, donnent, la possibilité pour les services spécialisés de se renseigner sur tout : affaires de terrorisme bien sûr mais aussi délits financiers, trafic en tous genre, etc. Au total 7 domaines différents sont concernés par le projet de loi.

Des garde-fous sont prévus par le projet de loi mais sont-ils suffisants ?  

Il ne s’agit pas, pour moi, d’interdire l’utilisation de moyens électroniques très perfectionnés pour recueillir le renseignement, ni même de ne pas donner un cadre législatif et réglementaire au recueil du renseignement mais de donner, comme dans tout état de droit, un droit voire un devoir de regard à l’Ordre judiciaire afin de se garantir, autant que faire se peut, contre toute dérive.

Benjamin FRANKLIN a fait, en 1755, une réponse au gouverneur de Pennsylvanie dont on retient, le plus souvent, cette phrase : « Those who would give up essential Liberty, to purchase a little temporary Safety, deserve neither Liberty nor Safety. »

« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »

La Commission nationale consultative des droits de l’homme s’était, d’ailleurs, montrée très critique envers cette loi : « Aussi la CNCDH a-t-elle des motifs sérieux de s’inquiéter de l’éviction du juge découlant des dispositions du projet de loi dans un domaine aussi sensible pour les droits et libertés fondamentaux que celui du renseignement, dont les modalités de recueil sont concentrées entre les mains de l’exécutif. Elle ne peut, une fois de plus, que déplorer l’absence de limite claire déterminant à quel moment et selon quels critères le régime du renseignement relevant de la police administrative doit céder la place à une enquête judiciaire, avec les garanties procédurales qu’elle comporte pour ceux qui en font l’objet (145). Pour cette raison, la CNCDH craint fortement que le juge judiciaire ne demeure à l’écart d’investigations portant sur des suspicions de délits ou de crimes, investigations dont la direction et le contrôle sont constitutionnellement dévolus à l’autorité judiciaire (146).

58. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la CNCDH estime qu’il est porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. »

Pour mémoire, la loi sur le Renseignement porte sur 7 domaines :

  1. L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;
  2. Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;
  3. Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;
  4. La prévention du terrorisme ;
  5. La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous, des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;
  6. La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
  7. La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

Qui font l’objet de la surveillance par ces organismes :

(Décret n° 2015-1639 du 11 décembre 2015 relatif à la désignation des services autres que les services spécialisés de renseignement, autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, pris en application de l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure)

L’indépendance nationale l’intégrité du territoire et la défense nationale

  • Les Services du renseignement territorial
  • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
  • La sous-direction de la police judiciaire
  • Les sections de recherches de la gendarmerie nationale
  • La sous-direction de la sécurité intérieure
  • La sous-direction du renseignement territorial
  • Les sections de recherches de la gendarmerie maritime de la gendarmerie de l’air et de la gendarmerie de l’armement
  • L’unité nationale et les unités territoriales de recherche et d’appui des services du renseignement territorial

Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère

  • Aucun service non spécialisé désigné dans le décret

Les intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France

  • Aucun service non spécialisé désigné dans le décret

La prévention du terrorisme

  • L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)
  • La sous-direction antiterroriste
  • La Sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité
  • Les Directions interrégionales et régionales de police judiciaire
  • Les services du renseignement territorial
  • Les Services régionaux de police judiciaire et les antennes de police judiciaire
  • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
  • La sous-direction de la police judiciaire
  • Les sections de recherches de la gendarmerie nationale
  • La sous-direction de la sécurité intérieure
  • La sous-direction du renseignement territorial géolocalisation
  • La sous-direction des brigades centrales
  • La sous-direction des services territoriaux
  • Les sections de recherches de la gendarmerie maritime de la gendarmerie de l’air et de la gendarmerie de l’armement

La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions

  • L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)
  • Les Services du renseignement territorial
  • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
  • La sous-direction de la sécurité intérieure
  • La sous-direction du renseignement territorial

Actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous

  • L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)
  • Les services du renseignement territorial
  • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
  • La sous-direction de la sécurité intérieure
  • La sous-direction du renseignement territorial

Prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique

  • Les services du renseignement territorial
  • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
  • La sous-direction de la sécurité intérieure
  • La sous-direction du renseignement territorial

La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées

  • Le service central des courses et jeux
  • La sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière
  • La Sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité
  • Les Directions interrégionales et régionales de police judiciaire
  • Les unités en charge de la police judiciaire au sein des directions déconcentrées de la police aux frontières et des directions de la police aux frontières d’Orly et de Roissy
  • Les Brigades mobiles de recherche zonales
  • L’office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre de la direction centrale de la police aux frontières
  • L’unité judiciaire du service national de la police ferroviaire
  • La sous-direction de la sécurité intérieure
  • Les sûretés départementales
  • La sous-direction de la police judiciaire
  • Les sections de recherches de la gendarmerie nationale
  • La sous-direction du renseignement territorial
  • La sous-direction des brigades centrales
  • La sous-direction des affaires économiques et financières
  • La sous-direction des services territoriaux
  • les sections de recherches de la gendarmerie maritime de la gendarmerie de l’air et de la gendarmerie de l’armement

La prévention de la prolifération des armes de destruction massive

  • Aucun service non spécialisé désigné dans le décret

Ces services s’ajoutent à la liste fixée par le décret n° 2015-1185 du 28 septembre 2015 portant désignation des services spécialisés de renseignement

  • La direction générale de la sécurité extérieure,
  • La direction de la protection et de la sécurité de la défense,
  • La direction du renseignement militaire,
  • La direction générale de la sécurité intérieure,
  • La direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières
  • Le service « traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins »

Rappelons que la France a demandé à déroger aux libertés reconnues par la Convention européenne des droits de l’Homme suite à l’état d’urgence consécutif aux attentats du 13 novembre.

Pour info, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a eu à traiter, selon le rapport parlementaire, 66.000 demandes de la part des services susmentionnés…

Lire le rapport ici.