Le statut militaire de l’École polytechnique, et plus globalement ses liens avec le ministère de la Défense, risquent fort de faire partie du passé.

Hormis la suppression de la solde pour les élèves, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a repris à son compte l’essentiel des propositions formulées dans le rapport remis la semaine dernière par Bernard Attali au sujet de l’avenir de l’École polytechnique. Ce qu’a vivement critiqué François Bayrou, ancien ministre de l’Éducation nationale aux ambitions présidentielles.
Car, même si le rapport [.pdf] en question indique que le statut militaire de l’X est une « singularité à conserver », les solutions qu’il préconise tendrait plutôt à le fragiliser davantage. D’où les critiques du président du MoDem, qui refuse « l’idée que pour être moderne, il faut être sur le modèle américain », alors que l’École polytechnique, « en promouvant l’ingénieur et en lui faisant rencontrer la tradition militaire, a donné à la France parmi ses meilleurs cadres ».
Pour Bernard Attali, qui n’est pas un ancien polytechnicien, au contraire de Jacques (*), son frère, l’École polytechnique risque le « dépérissement » si elle n’adopte pas une « stratégie de croissance ». D’où ses propositions pour l’ouvrir davantage tout en l’intégrant au sein d’une super structure rassemblant plusieurs écoles d’ingénieursimplantées en région parisienne. Car l’X serait trop petite pour pouvoir rivaliser dans la compétition internationale. D’ailleurs, sa position dans le classement de Shangaï en serait la preuve.
Seulement, l’École polytechnique, dont la devise est « Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire », devait à l’origine former des ingénieurs pour les besoins des forces armées et de l’État. Depuis, cela est de moins en moins le cas… En outre, son statut militaire, qui lui a été donné par Napoléon Ier, n’est pas un cas unique : aux États-Unis, il existe le Virginia Military Institute, qui forme des ingénieurs dans un environnement militaire depuis 1839.
Ces derniers peuvent opter pour une carrière dans les forces armées américaines ou rejoindre le civil à l’issue de leur scolarité. « Riche en traditions, le Virginia Military Institute est prêt à préparer les jeunes femmes et hommes à relever les défis de leur temps », fait valoir le Général JH Binford Peay, son surintendant. Et cet institut ne figure pas dans le fameux classement de Shangaï, devenu l’alpha et oméga de l’enseignement supérieur, qui évalue des universités pour la plupart richement dotées grâce à des financements privés et publics. Mais sans doute n’a-t-il pas les mêmes ambitions que l’X…
Quoi qu’il en soit, le statut militaire de l’École polytechnique, et plus globalement ses liens avec le ministère de la Défense, risquent fort de faire partie du passé. D’ailleurs, le ton est vite donné dans le rapport de Bernard Attali.
« Son statut militaire, et le passage dans les armées, avec les traditions qui l’accompagnent, ont été dans le passé une force. Aujourd’hui encore cette appartenance au monde de la Défense est mise en avant par l’École et ses élèves comme un atout majeur pour développer une sensibilité au bien commun et au service public, avec des valeurs de loyauté et de solidarité vantées par les recruteurs. (…) Néanmoins, ces singularités, qui ont fait la force et la renommée de l’X pendant plus de 200 ans, sont-elles aujourd’hui compatibles avec la compétition mondiale à laquelle l’enseignement supérieur doit désormais faire face? Autrement dit, comment éviter que les atouts d’hier ne deviennent les faiblesses de demain? », demande Bernard Attali. Mais poser la question n’est-il pas déjà y apporter une réponse?
Plus loin, le rapport donne le sentiment de minimiser la satisfaction des 7 mois de stage effectués par les élèves au sein des forces armées : 80% d’entre eux en recommandent la reconduction.
Mais « le soulagement d’avoir fini la classe préparatoire est tel que n’importe quelle forme d’aération provoquerait sans doute chez les élèves le même enthousiasme… », écrit Bernard Attali, qui ne manque pas de souligner un taux de satisfaction supérieur (95%) chez les 30% d’élèves ayant opté pour un stage dit « civil », à dominante enseignement ou social, auprès des milieux scolaires défavorisés.
« Je crois donc utile, au moment où la défiance envers les élites n’a jamais été aussi forte, où la cohésion sociale est fragilisée, qu’un nombre plus important encore de nos jeunes polytechniciens aillent à la rencontre du terrain le plus difficile. (…) Aussi, pourrait-on imaginer qu’à l’avenir, une proportion plus significative d’X (50%) soit placée au cœur de ce dispositif, afin d’encadrer les jeunes qui opèrent ce service civil. Les objectifs de rupture géographique et sociale seront ainsi pleinement satisfaits, l’expérience des relations humaines très forte, et le retour pour la nation évident », fait valoir M. Attali. De quoi réduire davantage les liens avec le monde militaire…
D’un autre côté, le rapport reproche au ministère de la Défense, et plus particulièrement à la Direction générale de l’armement (DGA) leur manque de coopération avec l’École polytechnique, laquelle pourrait jouer un rôle de « vigie » pour identifier, le plus tôt possible, les ruptures technologiques susceptibles d’intéresser les armées et les industriels de l’armement. « Le partenariat qui unit le Pentagone et le MIT [ndlr, Massachusetts Institute of Technology] pourrait d’ailleurs avoir valeur d’exemple », estime M. Attali. Seulement, le département américain à la Défense a une politique beaucoup plus large en la matière et investit plusieurs milliards de dollars, chaque année, dans des projets de recherche universitaires. En clair, on ne boxe pas dans la même catégorie.
Par ailleurs, le rapport déplore le manque d’appétit de l’École polytechnique pour « les thématiques s’intéressant à la Défense » et dit regretter qu’elle « n’ait pas de laboratoires intéressant plus fortement l’industrie de défense »… « Il est d’ailleurs singulier de noter que la DGA est présente dans les conseils de la recherche de toutes ses écoles d’ingénieurs sous tutelle (ISAE, ENSTA ParisTech, ENSTA Bretagne)… sauf à l’X! », fait remarquer M. Attali.
Dans ces conditions, les liens avec le ministère de la Défense et le statut militaire de l’École polytechnique, qui a donné 33 Compagnons de la Libération et dont 900 anciens élèves, servant dans les armes « savantes » d’alors (artillerie et génie) sont morts pour la France durant le Grande Guerre, dépendront des réformes annoncées par M. Le Drian pour la fin de cette année.
Mais dans son rapport, Bernard Attali s’interroge sur l’avenir de la tutelle exercée par le ministère de la Défense sur l’X. « Vaut-il pour l’éternité? », se demande-t-il. « Peut-être pas » car « si demain la grande ‘École Polytechnique de Paris’ [ndlr, dont l’X ne serait qu’une composante] voit le jour, la question se reposera de savoir s’il ne faut pas rattacher l’École au Premier Ministre », explique-t-il. Et de conclure : « S’il n’est pas anormal d’y réfléchir dès maintenant, à chaque jour suffit sa peine ».

(*) Pour rappel, Jacques Attali avait déjà esquissé un projet de réforme de l’École polytechnique à l’occasion d’un rapport rendu en 1998 et intitulé « Pour un modèle européen d’enseignement supérieur » [.pdf]. La « nécessité » d’élargir le recrutement de l’X y avait déjà été mise en avant.